4.1. Designer la confrontation

Concevoir et produire un artefact critique est parfois considéré comme la première moitié d’une démarche de design critique. La vocation de ce dernier est d'interpeller, de créer la discussion et de nourrir une réflexion sur des alternatives préférables ou des oppositions nécessaires. Pour réussir à remplir ces objectifs, une production de design critique doit rencontrer son ou ses publics.

Nous allons parler ici d’un “design de la confrontation”, qui contribue à mettre en discussion la production critique. Il s’agit d’imaginer des formats, dispositifs, outils qui permettent à l’artefact de se confronter aux publics et aux publics de se confronter à la critique portée par l’artefact. En d’autres termes, concevoir des conditions de diffusion, de rencontre et de mise en discussion, qui vont au-delà des simples modes d’exposition passifs comme l’est la galerie.

Diffuser la critique et susciter le débat

Le design de la confrontation requiert de penser comment son artefact critique va atteindre des publics différents pour les impliquer dans la réflexion, et d’envisager quel débat cet objet va susciter. La préparation de la confrontation passe par différents impératifs :

  1. Connaître l’audience à laquelle on souhaite s’adresser en priorité,
  2. Réfléchir à quels autres publics - moins attendus ou entendus - seraient concernés par cette réflexion,
  3. Recenser les canaux, moments, espaces, qui permettent de faire rencontrer ces différents publics, pour croiser une pluralité de points de vue.

Atteindre son public demande parfois de s’inscrire dans leurs lieux de passage et dans leur quotidien : sur un marché, dans le hall d’un immeuble, sur une place publique, sur un réseau social.

Une fois son public atteint, comment créer de la discussion autour de la critique ou de la spéculation proposée ? 
Aussi provocant, interpellant, dissonant soit l’artefact, le débat ne se produit pas spontanément. Les réflexions et les questions peuvent venir d’elles-mêmes à l’esprit du public, mais la prise de parole doit être bien souvent impulsée. Le design de la confrontation demande donc de créer des conditions propices à : 

  • La projection dans la critique (manipuler l’artefact, et faire l’expérience, prendre connaissance de tout ce qu’il a à nous dire),
  • La compréhension de la critique qui est proposée,
  • La discussion entre membres d’un même public ou de publics différents.

Pour animer ces temps d’échanges, il ne faut hésiter à se tourner vers d’autres disciplines et institutions qui ont l’habitude de cet exercice. Les acteurs de l’éducation populaire ou la Commission Nationale du Débat Public (CNDP) abondent de ressources, formats et retours d’expérience. Des formats comme le débat mouvant ou le théâtre de l’opprimé proposent des pistes d’inspiration pour faire débattre une audience autour d’une question posée par l’artefact ou laisser le public s’emparer d’une autre facette - parfois inattendu - de la critique.

Citons également d’autres formats de “confrontation” que l’on peut trouver dans la pratique du design critique :

  • Une session de débat (lors d’une soirée ou d’un atelier, lors d’un événement, dans la rue),
  • Un site Web avec des modalités de réaction (votes, commentaires, etc.),
  • Une installation dans un espace public (un vrai-faux stand, avec ou sans médiateur).

American Futures / CanAssist.Us (Situation Lab, 2016)

American Futures / CanAssist.Us (Situation Lab, 2016)
Entre intervention sur l’espace public et design de futurs expérientiels, le Situation Lab a imaginé et interprété un service fictionnel d’aide à l’immigration vers le Canada pour des citoyens des US dépités par l’élection de Donald Trump en 2016.

À noter qu’au-delà de la mise en débat, certaines démarches de design critique proposent également aux publics d’enrichir le scénario critique ou la spéculation initiale avec de nouvelles idées, voire de nouveaux artefacts (voir 4.3. Ouvrir son processus de design critique à la participation).


Une éthique de la confrontation

Il n’existe pas un code déontologie du design de la confrontation. Cependant, quelques bonnes pratiques sont à garder à l’esprit lorsque l’on souhaite diffuser et discuter sa production :
- Chercher inclure une véritable pluralité de points de vue et d’expérience, en incluant des publics dits “invisibles” qui sont éloignés des espaces traditionnels de réflexion et d’expression.

- Être transparent sur la nature de sa production (un objet de débat) et les objectifs de la confrontation (dans quel cadre et pourquoi cette diffusion et mise en discussion). 

- Si l’artefact peut être provocant, s’assurer de ne pas heurter ou blesser le public. La recherche du dissensus et du désaccord doit se faire en veillant à ne pas créer plus de fractures durables entre les individus et les communautés. 

- Identifier les biais qui peuvent se poser lors de la diffusion de l’artefact et de sa mise en débat, inviter le public à questionner les modes de confrontation et les orientations des questions posées.

- Penser les interactions avec l’artefact ou l’expérience de design critique, mais aussi entre les membres de l’audience eux-mêmes. Si la critique peut susciter l’inconfort, les publics doivent se sentir autorisés et en confiance pour interagir et s’exprimer quant à l’objet de la critique.

- Garder une certaine maîtrise du cadre de la confrontation pour éviter que la production du designer ou les éléments du débat ne soient pris hors contexte, au risque de susciter alors de l’incompréhension ou d’induire en erreur (voir Critiques : 3.2. La réception hors-contexte et prophéties autoréalisatrices).


Aller plus loin :

Designing for debate, Max Mollon : https://www.ensadlab.fr/fr/max-mollon-1/


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Activité :
Imaginer la confrontation d'un projet existant


Cet exercice propose d’imaginer un “dispositif de confrontation” pour un projet de design spéculatif existant. 

L’activité :  
Vous devez imaginer une expérience de diffusion ou de mise en discussion pour United Micro-Kingdoms (A. Dunne, F. Raby, 2013).

Quelques questions pour vous guider dans votre réflexion : 

  • Quels publics souhaite-t-on atteindre ou engager ?
  • Comment et dans quelle situation le ou les publics prennent connaissance de ce projet ?
  • À quoi ressemble l’expérience de diffusion et de mise en discussion ? Quels dispositifs, formats ou outils sont utilisés ?
  • Quelles limites ou questions éthiques cette confrontation pose-t-elle ?