1.2. Structurer les angles de critique et de spéculation
Suite logique du sourcing et de l’analyse du sujet, cette seconde étape cherche à les structurer pour identifier des angles de critique et de spéculation. À l’image du journaliste qui définit un angle d’attaque pour son article, l’objectif est ici de dégager un ou plusieurs messages et idées que l’on souhaite porter, démontrer ou dénoncer.
Définir sa grille d’organisation
Toute la matière collectée gagne à être organisée selon la grille qui conviendra le mieux. En effet, il n’existe pas de grille “type” pour ce travail. Il est néanmoins possible de suggérer des classifications inspirées des travaux de prospective. C’est ce que proposent les modèles suivants, que l’on peut éventuellement croiser pour constituer une grille de lecture à plusieurs entrées :
La grille PESTEL
Les éléments de recherche sont classés selon qu’ils relèvent du : Politique, Économique, Sociologique, Technologique, Environnemental, Légal (PESTEL). Cette grille invite à réunir une variété d’informations pour dresser un état des lieux du présent sous différentes facettes et rendre compte d’une dimension systémique. Cela préfigure le travail de narration, spéculation et extrapolation à venir dans lequel il s’agira d’imaginer un monde (worldbuilding) davantage qu’une histoire (voir 2.4. Antisèche pour scénariser sa critique).
Pour détailler chacune des catégories du PESTEL :
- Politique, ce qui est en lien avec l’organisation de la société : modèles de gouvernance et d’autogestion, modes de décision, droits et libertés, relations géopolitiques, politiques publiques...
- Économique, ce qui est en lien avec les marchés et les évolutions de l’économie : consommation, emploi, modes de production/distribution, travail, politiques financières et monétaires...
- Social, ce qui est en lien avec les environnements social et culturel : modes de vie, classes sociales, égalités/inégalités, loisirs, éducation, famille, religion, démographie...
- Technologique, ce qui est en lien avec les évolutions techniques : infrastructures physiques et numériques, accès et maîtrise des technologies, acceptation des avancées scientifiques...
- Environnemental, ce qui est en lien avec les transformations de l’environnement : transitions écologiques, crise climatique, énergies renouvelables, biodiversité...
- Légal, ce qui est en lien avec le cadre législatif et réglementaire : lois et réglementation, propriété intellectuelle, protection de la vie privée, accès et recours aux droits...
La grille d’acteurs
On peut aussi articuler son analyse selon la typologie d’acteur qu’il implique (Entreprise / Institution publique ou étatique / Association ou collectif / Individu) et selon qu’il s’agisse d’un acteur bien identifié (“usual suspect”) ou d’un nouvel acteur, voire un acteur inattendu, minoritaire ou à contre-courant (“outsider”).
Par exemple :
- L’entreprise Mattel sort sur le marché son enceinte connectée pour garde d’enfants (Entreprise usual suspect).
- Des chercheurs parviennent à hacker des assistants vocaux avec un laser (Collectif outsider).
Les facteurs de changement
Les facteurs de changement (mégatendances, émergences, ruptures, voir 1.1. Sourcer son sujet de critique), en cours ou à venir, peuvent aussi être classés selon leur prépondérance et leur impact. Plusieurs natures de facteurs cohabitent : un facteur peut être une technologie, un usage ou un comportement, une valeur politique ou morale, un phénomène naturel...
Par exemple :
- La montée des nationalismes et des populismes (émergence politique)
- Le réchauffement climatique (mégatendance naturelle)
Trier et hiérarchiser les problématiques
Quels sont les enjeux les plus saillants et les plus intéressants de la thématique ? Sur quoi souhaite-t-on faire porter le débat ? Quel est l’objectif du projet ? Quel en est l’audience ou le public que l’on souhaite atteindre ? Autant de questions à se poser pour pouvoir trier et hiérarchiser les points de tensions identifiés, car il est à la fois difficile et contre-productif de tout traiter.
De manière assez intuitive, mieux vaut poser une question critique d'une manière frappante que vouloir en poser plusieurs, au risque de diluer la teneur critique et la clarté du projet. Il n’y a pas de règle en la matière, mais on peut par exemple définir la problématique principale et deux à trois enjeux secondaires, corrélés à la première.
Pour inspiration, le projet Anatomy of an Artificial Intelligence system (Vladan Joler and Kate Crawford, 2018) propose une hiérarchisation visuelle et cartographique des problématiques et enjeux liés aux intelligences artificielles.